Cet article se propose d’étudier le traité de
The aim of this article is to study the
Parent pauvre de l’historiographie contemporaine, l’histoire du Maghreb au IXe/XVe siècle, est mal connue. Les chroniques, il est vrai, sont moins nombreuses qu’au siècle précédent. La documentation n’est pourtant pas inexistante, mais elle change sensiblement de nature, les sources juridiques, notamment, devenant plus abondantes. Le IXe/XVe siècle maghrébin voit ainsi fleurir les célèbres recueils juridiques d’al-Burzulī (m. 841/1438)
L’analyse du contexte de production de l’ouvrage s’avère ainsi essentielle afin de mettre au jour les rapports de force qui se jouent entre différents acteurs qui prétendent définir la norme et la faire appliquer. L’objet d’écriture choisi par l’auteur, la
Aux côtés des Marzūq et des Maqqarī, les ʿUqbānī constituent la troisième grande famille de Tlemcen
La famille ʿUqbānī a donc exercé, sur plusieurs générations, la judicature à Tlemcen et devait jouir d’un certain monopole sur cette charge
Cette position prééminente a sans doute suscité contestations et convoitises. Ainsi, Qāsim al-ʿUqbānī, auteur du plus grand nombre de
Après avoir fréquenté quelque temps les conférences de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī, je me rendis un jour à une leçon du cheikh Sīdī Muḥammad b. Marzūq, et m’étant aperçu que le savoir de ce professeur était, dans chaque science, un océan sans rivage, je m’attachai à son enseignement et abandonnai celui de Sīdī Qāsim al-ʿUqbānī. Un autre jour que j’étais descendu à Bāb Zīrī et que j’avais pris place parmi les auditeurs du cheikh al-Ḥasan, il me sembla que la science de ce dernier perdait à être comparée à celle du cheikh Sīdī Muḥammad b. Marzūq
Al-Sanūsī, éminent représentant du soufisme de la fin du IXe/XVe siècle, établit ici une hiérarchie entre les principaux maîtres de Tlemcen qui semble inversement proportionnelle à leur proximité avec le pouvoir. Aux côtés des grandes figures traditionnelles comme Qāsim al-ʿUqbānī et Muḥammad b. Marzūq, d’autres personnalités de premier plan émergent comme Abarkān et al-Sanūsī
Ce clivage entre élites religieuses, les unes affichant leur indépendance par rapport à un pouvoir qui leur est, quoi qu’il en soit, soumis
Al-Mutawakkil accède au pouvoir à Tlemcen, en 866/1461, après avoir mené, aux côtés de son père, une révolte contre son parent Abū ʿAbd Allāh Muḥammad. Pourtant, depuis le début du IXe/XVe siècle, les Hafsides jouent un rôle de premier plan dans la politique du sultanat abdelwadide, menant plusieurs expéditions à Tlemcen afin que leur souveraineté soit reconnue par le prince abdelwadide régnant. Ils interviennent ainsi à plusieurs reprises pour favoriser ou destituer un souverain à Tlemcen
Affaibli au niveau régional, le souverain abdelwadide semble, à l’instar de son illustre prédécesseur Abū Ḥammū II (760-791/1359-1389), avoir porté une attention toute particulière à légitimer son pouvoir par la plume. Alors que depuis le règne d’Abū Ḥammū II, aucune source produite dans l’entourage d’un souverain abdelwadide ne nous est parvenue, deux ouvrages, probablement rédigés sous le règne d’al-Mutawakkil, ont été conservés. Le premier, intitulé
Le second ouvrage qui date, selon toute probabilité, du règne d’al-Mutawakkil est la
Le cas de Muḥammad al-ʿUqbānī illustre la complexité des relations que les élites religieuses entretiennent avec le pouvoir. De même qu’il existe une variété de déclinaisons entre deux grands modèles de saints, le premier refusant systématiquement tout contact avec le pouvoir alors que le second tient lieu de conseiller du prince
La notion de
D’un côté, le potentiel subversif inhérent au devoir individuel est de nouveau fréquemment mobilisé au IXe/XVe siècle. Les hagiographes se plaisent ainsi à rappeler la détermination des saints à appliquer le précepte coranique de la
Dans le même temps, la magistrature du
Après un âge d’or en al-Andalus entre les ive/xe et vie/xiie siècles, le dernier traité de
Dans son introduction, al-ʿUqbānī expose les raisons qui l’ont conduit à composer la
Premier chapitre : Du caractère légal [du précepte coranique]
Deuxième chapitre : Des cas où [ce précepte] est obligatoire, recommandé ou illicite
Troisième chapitre : Le censeur (
Quatrième chapitre : Des modalités de la censure et de sa mise en œuvre
Cinquième chapitre : Gradation des actes blâmables
Sixième chapitre : Du moyen de dépister les actes blâmables
Septième chapitre : Cas précis d’actes blâmables
Huitième chapitre : Ce qui distingue ceux que j’ai interrogé à ce sujet parmi les gens de la communauté (
Conclusion : De l’origine de celui qui est investi de cette charge et ce qui la différencie des autres charges légales
Les cinq premiers chapitres ainsi que la conclusion traitent de façon théorique du précepte coranique révélant la forte tension qui existe entre la dimension individuelle et collective de ce devoir. Les trois autres chapitres (6, 7 et 8), soit environ 85 % de l’ouvrage, envisagent la
Al-ʿUqbānī débute son propos en réaffirmant, dans un bref premier chapitre d’une page, le caractère légal du devoir de tout musulman d’« ordonner le bien et d’interdire le mal » en citant plusieurs versets coraniques
Le second chapitre traite des différents cas où ce devoir s’exerce de façon obligatoire, recommandée ou illicite. Il s’appuie notamment sur un
Après avoir précisé l’opportunité ou non d’une intervention face à un acte blâmable, al-ʿUqbānī traite, dans son troisième chapitre, des conditions personnelles nécessaires pour pouvoir exercer la censure, reprenant sur ce point Ibn al-Munāṣif. Ces prérequis sont au nombre de quatre : être musulman, être légalement compétent (
Le quatrième chapitre concerne la façon d’aborder la question de la
Dans le cinquième chapitre, différentes catégories de condamnation des actes blâmables sont énumérées dans un ordre croissant de gravité. Au premier degré, un simple rappel à l’ordre (
Après ces cinq premiers chapitres relativement brefs, al-ʿUqbānī en vient à la dimension pratique et concrète de l’application du précepte à travers les
Comment comprendre les choix qui ont été faits par al-ʿUqbānī tant du point de vue des matériaux sélectionnés que de leur agencement ? Al-ʿUqbānī débute son propos par l’énoncé du devoir individuel tel qu’il se présente dans le Coran et dans les
Aux côtés d’Ibn Rušd, al-ʿUqbānī mobilise également al-Ġazālī dont l’importance dans l’essor du soufisme maghrébin et, en particulier, de sa vision du devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal, est attestée
Si la prédication par Ibn Tūmart du devoir d’ordonner le bien et d’interdire le mal a été déterminante dans l’émergence du mouvement almohade
La section dédiée par al-Māwardī à la
À travers les choix qu’il a opérés, al-ʿUqbānī propose une conception de la
Cette discussion théorique proposée par al-ʿUqbānī est ensuite complétée par des cas d’espèce qui constituent la majeure partie de son ouvrage. Ces
L’agencement qu’al-ʿUqbānī propose des différents cas d’espèce sélectionnés ne correspond pas exactement à l’organisation traditionnelle des recueils de jurisprudence, divisés en deux grands ensembles : un premier consacré aux relations de l’homme avec Dieu (
C’est ensuite la sélection de
Le deuxième héritage mobilisé par al-ʿUqbānī est celui d’Ibn Munāṣif qui, comme lui se consacre, après une première partie théorique, à l’exposé d’exemples de la pratique. Cette seconde partie ne se présente pas sous la forme de
Un troisième socle est constitué par les auteurs šāfiʿītes que sont al-Ġazālī, al-Nawāwī (m. 676/1277)
Enfin, le quatrième et dernier type de sources utilisé par al-ʿUqbānī correspond au milieu judiciaire tunisois contemporain. Les plus célèbres sont abondamment mis à contribution comme Ibn ʿArafa et surtout al-Burzulī mais aussi, de façon plus secondaire, des juristes comme al-Ubbī (m. 827/1424)
Ce rapide panorama des auteurs mobilisés par al-ʿUqbānī ne doit pas faire illusion : l’agencement de ces différentes strates juridiques est loin d’être homogène. Au contraire, il témoigne des inflexions et des adaptations dont les normes sont l’objet, des nouvelles préoccupations qui surgissent, ou de celles, plus anciennes, mais appréhendées de manière sensiblement différente
Par la discussion théorique du précepte coranique d’ordonner le bien et d’interdire le mal sur laquelle débute l’ouvrage, puis par l’agencement et la sélection de ses
Le terme est ici employé au sens défini par Joseph Morsel, à savoir, que « le symptôme renvoie, non pas à une absence, mais à une présence non visible, latente. (…) Cet invisible est la part abstraite du monde social, sa logique, ses représentations, tout ce qui en assure la cohésion, la reproduction et la transformation.” :
Ibid., p. 858.
En dehors des dictionnaires biographiques, Charles Brosselard a également retrouvé les épitaphes :
Ibid., p. 71-72.
Hormis les al-ʿUqbānī, les sources ne mentionnent que deux personnages ayant exercé cette charge : Muḥammad Abū ʿAbd Allāh Ḥammū al-Šarīf (m. 873/1468) (dans
Ibid. ;
Sur la place du soufisme dans l’enseignement à Tlemcen :
Ibid., éd. p. 191, 416-418, trad. p. 94-95 et p. 273-275.
Ibid., p. 143.
Ibid., p. 17-18. En effet, les catalogues de monnaies ne font pas état de pièces frappées par les Abdelwadides au nom des Hafsides.
Vidal Castro, “
Ibid., p. 329, note 71 : Vidal Castro cite le
Ibid., p. 173.
Ibid. : J.-P. Van Staëvel cite une
La nisba semble être al-Bunnāhī plutôt qu’al-Nubāhī:
Ibid
Ibid., p. 559.
Ibid., p. 560-561.
Ibid., p. 2.
Ibid., p. 2 (l. 16-26).
Ibid., p. 4 (l. 9-10). Il cite ensuite le Coran XXII/41 pour renforcer son propos : « Toute autorisation de se défendre est donnée à ceux qui, si nous leur accordons le pouvoir sur la terre, s’acquittent de la prière, font l’aumône, ordonnent ce qui est convenable et interdisent le blâmable - La fin de toute chose appartient à Dieu -” (
Ibid., p. 4-5 ;
Ibid
Ibid., p. 178 ;
Ibid., p. 371-373.
Sur l’intérêt accordé par Ibn Tūmart à ce précepte voir :
Ibid., p. 1065-1069 ; ce
“
“
Ibid., p. 184.
Ibid., p. 195.
L’éditeur d’Ibn al-Munāṣif divise son propos en sept grandes thématiques : 1/ la censure des actes en relation avec la pratique religieuse ; 2/ les questions portant sur le serment de divorce ; 3/ la censure concernant les rues et les places ; 4/ la fixation des prix ; 5/ les marchés et les contrats ; 6/ les poids et les mesures ; 7/ les conséquences néfastes provoquées par les ignorants qui s’intéressent à la science islamique et émettent des
Ibid., p. 293.
Ibid., p. 192 ; voir aussi
Il fut un des maîtres de Šihāb al-Dīn al-Qarāfī :
Il est l’auteur d’un ouvrage de jurisprudence intitulé
Une première enquête a été menée en ce sens sur le traitement de deux catégories sociales, les femmes et les